All my Secret Life
"J’ignore si la vie est plus grande que la mort mais l’amour l’est plus que les deux."
PREMIÈRE PARTIE
« Bonjour Gwennaël ! ».
J'entrais dans ce cabinet, d'ordinaire c'était moi qui étais à sa place. C'était moi qui disais en premier bonjour au patient. C'était une situation que je n'appréciais que peu mais par laquelle j'étais obligée de passer. Je m'asseyais à l'endroit où d'ordinaire je regarde mes patients s'asseoir. La psychologue devenue patiente, ce n'était pas ordinaire. Enfin je posais mes yeux sur le Docteur Yelow.
« Bonjour ! »Pourquoi j'étais là ? Tout simplement parce que j'avais perdu pied. Je mettais noyée. Et il fallait que je remonte à cette surface. Que je reprenne ce souffle qui me manquait. Parfois quand un seul être vous manque, le monde vous semble bien amer. Quand un seul être est absent, le monde peut vous paraître si vide. Et parfois pour surmonter le manque et l'absence, consulter des personnes qui peuvent aider. J'étais bien placée pour le savoir.
« Je crois que vous connaissez le processus Gwennaël ! Racontez donc moi votre enfance s'il vous plaît ! »Je me laissais aller dans ce fauteuil. Par où et comment commencer ? Je ne savais pas. C'était si dur d'être ici. Je le faisais aussi pour mon fils. Pour lui. Je connaissais le processus. Je savais ce que je devais faire. Répondre. Si je ne répondais pas elle ne pourra rien pour moi.
« Ma mère était une brillante avocate et mon père un homme d'affaire violent et dragueur. J'ai toujours eu ce que je voulais. Mais je n'ai jamais été heureuse. J'ai grandi dans mon monde. Un monde peu enfantin à dire vrai. Je n'ai jamais été aimée de mes parents. Ma mère m'appelait « l'erreur humaine ». Ce n'est pas juste de se prendre ça dans la tête à dix ans. Une petite fille ne devrait pas avoir à entendre ça de la bouche de ses parents. Et mon père ne loupait pas une occasion de tomber sur ma mère, elle aurait pu se défendre elle était avocate, mais elle était bien trop aveuglée par l'amour. Lui ne l'aimais même pas. Il draguait la moindre petite minette dès qu'elle avait la jupe un peu trop courte ou un décolleté trop prononcé ! C'était mon père. Et ma mère elle, grosse stupide qu'elle était, toujours là à lui lécher les bottes. Bien sûr il y avait l'argent. L'argent. Voilà pourquoi ils restaient ensemble : l'argent. Ils ne juraient que par ça tous les deux. Et j'étais au milieu de ce couple de grands fous, sans coeur. J'ai grandi avec seulement l'amour de mon demi-frère. Le premier fils de mon cher papa qu'il a eu illégitimement en dehors du mariage avec ma mère. Il l'appelait son « bâtard ». Deux rejetés de la vie. Privé d'amour et d'affection. On s'est donc très vite retrouvés très soudés et complice. J'ai donc eu une enfance difficile, mais j'en suis ressortie forte et grande. Plus mature et responsable qu'il ne fallait. »Je m'étais lâchée, mais c'était la vérité. La stricte vérité. Je la regardais noter sur son bloc note. J'étudiais ses rictus, ses gestes. Elle releva la tête, souriante et se mit à rire. Pourquoi ? Elle se doutait que je l'étudiais certainement.
« Bien Gwennaël ! C'est très bien ! Je vous vois m'observer et m'étudier ! Arrêtée ! .... Poursuivons voulez-vous ? Qu'est-ce qui s'est passée à vos dix-sept ans ? ».
Je baissais les yeux. C'était à la fois le plus beau et le triste jour de ma vie. C'était mon bonheur et mon malheur. Mes dix-sept ils resteront gravés en moi. Je vis avec mes dix-sept ans prêts de moi chaque jour. Mes lèvres s'étirèrent d'un sourire heureux et flou à la fois.
« J'étais une adolescente assez désobéissante. Ma meilleure amie pour mes dix-sept m'a entraîné à une fête. Elle disait que dix-sept ans ça se fête. Je l'ai suivie, malgré le désaccord de mes parents. Mais je me disais, toute façon pour l'autorité qu'ils ont sur moi, ça sert à rien de leur obéir. Ils ne remarqueraient même pas que je suis partie. Ils ne s'en sont pas rendu compte. J'ai fait fête. Puis je me suis toute drôle. Je ne tenais plus debout, je ne savais plus où j'étais. J'étais si mal. Après c'est le trou noir. Je me rappelle m'être réveillée, dans un lit que je ne connaissais pas. Et que j'avais tellement mal. Je me sentais mal et impur. Changé. Je me sentais si sale. Trois mois après j'apprenais que j'étais enceinte. Alors la vérité que je refusais de m'avouer de cette soirée-là s'imposa en moi. J'ai gardé ce bébé. Comme pour me punir et à la fois parce que je savais que ça fera rager mes parents et aussi parce que je le voulais. Je voulais avoir ce bébé. Quand je l'ai dit à mes parents. Ils m'ont viré de la maison. Je me suis retrouvée si seule enceinte dehors. J'ai trouvée refuge dans un centre pour jeune fille enceinte ou déjà maman mais que leurs parents avaient refusé. J'y suis restée jusqu'à ce que mon fils montre le bout de son nez. C'était douleur. Tellement douloureux. Mais ça en valait la peine. Il est si beau. A l'hôpital, je suis tombée amoureuse, de cet interne. Il avait vingt ans. Et il était interne dans cet hôpital. Il s'était juste trompé de service et il était tombé sur moi. Il a accepté de me prendre moi et mon bébé. J'en suis tombée follement amoureuse ... »Un sourire plein de souvenir et un regard où les larmes se pressaient derrière mes paupières, se posèrent sur la psychologue. Les souvenirs revenaient en moi, comme si je me prenais une gifle. Je retenais les larmes qui voulaient glisser le long de mes joues. C'était le pourquoi j'étais ici. C'était pour lui que j'étais ici. Un silence s'installa. Elle respectait ma douleur, ma tristesse. Elle finit par reprendre.
« On s'arrête ici pour aujourd'hui ! A la semaine prochaine Gwennaël ! »Je la remerciais d'arrêter le supplice pour aujourd'hui. Les souvenirs si anciens et si récent. Si frais étaient là dans mon esprit. Ils me narguaient et dansaient dans ma tête. Comme si ... comme s'il était encore là. Comme s'il n'était pas parmi les anges. Je pleurais toute la nuit. Sentant mon fils derrière ma porte si mal. Mais je ne pouvais pas faire autrement. Il me manquait tellement.
DEUXIÈME PARTIE
J’étais de nouveau dans ce fauteuil. Je savais qu’aujourd’hui cette séance allait être très difficile. Car on attaquait le noyau de ma présence ici. L’événement qui m’avait noyée. Même si je reprenais doucement du poil de la bête.
« Reprenons Gwennaël ! Ce jeune interne dont vous êtes tombé follement amoureuse pour vous citer … c’était Nathanaël ? »Des frissons me parcoururent sous le sweet-shirt. Ce sweet-shirt qui lui appartenait. Mes mains se crispèrent sur le tissu du fauteuil.
« Oui c’est lui ! On ne s’est plus jamais quitté. Il a décidé de venir à Adélaïde ! Pour rien au monde je l’aurais lâché ! Je l’ai donc suivi ici ! Et fort heureusement ! Car j’ai connu les plus belles années de ma vie. Mon fils, mon mari. Les hommes de ma vie. Ils enchantaient tous les deux ma vie. Ils étaient mon bonheur de chaque jour. Ils m’ont donnés le courage d’être ce que je suis aujourd’hui ! De faire le métier que je fais aujourd’hui ! Je dois avouer que mon fils & Nate mon sauvé la vie ! Je connaissais enfin la douceur, l’affection, l’amour, le bonheur. Ils m’ont appris à aimer. »Je sentais la question à laquelle je ne voulais pas répondre arriver. Cette question était obligée. C’était même une des questions la plus importante. Le but des séances. Mais je refusais d’y répondre. Mon esprit ne voulait pas. Je la vit ouvrir la bouche.
« Où est Nathanaël maintenant ? »Je ne l'aurais pas tourné comme ça. J'aurais été plus franche. J'aurais pris moins de gants. Chacun sa façon de travailler. Je la remerciais de ne pas avoir dit le mot que je ne pouvais pas prononcer, qui commençait par un m et finissait par un t.
« Il y a six mois il y a six mois il est tombé gravement malade. Un cancer. Un putain de cancer. Les médecins disaient que c'était un cancer foudroyant. Pendant huit semaines, huit longues semaines, je l'ai ... je l'ai vu ... mourir petit à petit .... Je ... je le ... je le sentais .... Sentais s'éloigner de moi ... son sourire si transparent si malade qui se voulait rassurant mais non .... Je me suis endormie prêt de lui ce soir-là et il est parti deux heures après.... il ... il .... Il est juste parti !! .... ».
Les yeux pleins de larmes. La respiration si courte. Je me levais et allait vers la sortie en m'excusant. Mais la voix de la psychologue m'interpellant me fit m'arrêter.
« GWENNAËL ! Vous fuyez votre douleur ! Vous le savez très bien ! Comme vous savez que ce n'est pas la solution ! Revenez TOUT de suite ! ».
Je me retournais et essuyais d'un revers de main mes larmes. On parla de mon ressenti. De mon manque. De ma peine. J'en parlais ouvertement. Je me laissais juste aller. A vrai dire je crois que j'en avais plus que besoin. Et c'est plus légère que j'étais repartie chez moi. Je ne suis retournée voir la psychologue. J'ai repris mon boulot. J'ai fait le vide dans ma tête. J'ai appris à revivre, pour lui. Pour mon fils. Il était là lui. Et il avait besoin de moi. Malgré ses dix-sept ans, il avait besoin de me sentir présente. Et ouverte pour lui.
TROISIÈME PARTIE
Le temps s'est écoulé depuis. Voilà un an que Nate m'a quitté. Est parti rejoindre les anges dans ce ciel étoilé. Les un an de la mort de l'être qui vous a quittés sont le plus souvent les plus tragiques. Ce matin-là alors que Jeven est parti en cours. Et que je me suis retrouvée seule dans cette grande maison. J'ai juste pété un câble. J'ai fait une crise, une crise de nerfs. Les bibelots volèrent. Et j'ai finie allongée dans mon lit, pleurant toutes ses larmes que j'avais gardées et plus versées depuis un long moment.
« MAMAN !!! »J'entendis la voix affolée de Jeven. Je ne réagis même pas quand il entra dans ma chambre violemment. Ce n'est que quand j'entendis :
« Bordel maman ! Qu'est-ce que tu as foutue ? J'ai eu peur quand je suis rentrée et que j'ai vue tous bibelots cassés j'ai cru qu'il t'était arrivée un truc ! ».
Je me relevais, essuyait mes larmes. Et j'essayais d'offrir un semblant de sourire rassurant à mon fils. Cet être que j'essayais de protéger au mieux. Mais il grandissait et je le perdais lui aussi. Il s'éloignait de moi. Alors que je m'accrochais à lui comme une peine perdue.
« Je suis désolée mon chéri ! J'ai juste ... je me suis énervée ! ».
Il me jeta un regard furibond.
« OUI maman ! Maman ça fait un an !!! Arrête ! Papa ne reviendra pas ! Arrête de le pleurer et vis simplement pour lui !! Tu crois que moi je suis pas triste ! Papa c'était mon Héro ! C'était l'homme que j'admirais le plus ! Et pourtant je vis pour lui aujourd'hui ! Il aurait détesté te voir comme ça ! Tu es une égoïste maman ! ».
Il quitta la pièce. Je perdais mon fils. Alors je me relevais. Je relevais la tête. Je me fis violence.
« JEVENNN !! »Mais la porte d'entrée claqua. Et je savais qu'il était parti. Nous étions si complices. Et depuis plus rien n'allait. On s'éloignait. Je perdais mon fils. Je perdais le fil qui m'attachait à lui.
Deux mois se sont écoulés depuis les un an de la mort de Nate. J'ai repris pied. Je souris. Je survis. Je vis. Je rigole. Je travaille. J'essaye. Je pense. Je suis. Je suis redevenue ce que j'étais avant. Avant que ma vie de famille soit bouleversée, par le décès d'un de ses membres. J'essaye de garder mon fils sur la bonne voie, mais il semble vouloir prendre d'autre chemin, il se dérobe. J'ai si peur de le perdre. De ne pas pouvoir le garder plus longtemps dans l'innocence de la vie. Il a dix-huit ans après tout. Alors je faisais comme je le sentais, au fil de mes instincts de maman et de femme.