« Pour moi c'est déjà trop tard... » Ezra ne put s'empêcher de sourire. Ce sourire, c'était de la joie, du soulagement, de l'excitation, un peu tout ça en même temps. Sentant les doigts de BB se faufiler entre les siens, il laissa toute pensée s'envoler pour seulement profiter de l'instant présent. Une fois dans le taxi, il ne parla pas, lui non plus, craignant, de la même façon que BB, ne briser ce moment si spécial, celui où ils s'étaient enfin trouver. Pour de bon. Il se contenta seulement de déposer l'un ou l'autre baiser sur le front de la jeune femme. Il était tellement bien, serré contre elle, qu'il aurait voulu que le trajet dure éternellement.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et ils finirent par arriver à destination. Là, devant l'immense villa des Winsloo, Ezra se sentit d'un coup minuscule. Il ne put s'empêcher de remercier intérieurement le ciel de ne pas avoir pris l'initiative de ramener BB chez lui. Dans son petit appartement de seulement 4 pièces. Pourtant, il serait sans doute forcé de le faire, un jour ou l'autre. Même si il préférait ne pas penser à ce qu'il adviendrait de leur relation dès le lendemain, il savait qu'il ne pourrait pas tout simplement oublier BB d'un jour à l'autre. Et même si ils étaient condamnés à ne jamais pouvoir vivre à fond leur relation, il ne voulait pas y renoncer.

« Installe-toi, fais comme chez toi. Tu veux boire quelque chose ? » Perdu dans ses pensées, il n'avait pas remarqué que BB l'avait entraîné à l'intérieur de la demeure et entreprenait déjà de se débarrasser de ses affaires. Malgré lui, Ezra ne put s'empêcher de jeter des regards panoramiques autour de lui. Il était déjà venu ici, bien entendu, mais cela lui paraissait si lointain désormais. Pourtant, il avait l'impression d'entendre encore le père de BB les sermonner gentiment lorsqu'ils faisaient trop de bruit. En pensant au père de BB, il retrouva soudain ses esprits. « Un verre d'eau me suffira, merci. » Tout bien réfléchi, il avait ingurgité assez d'alcool pour trois mois, ces derniers jours. Mais il ne voyait pas l'intérêt de le préciser. Après avoir marqué une brève pause, il reprit, hésitant. « Et ton père... il n'est pas là? » Ayant des doutes sur la suite du déroulement de la soirée, il préférait être certain de cela avant toute chose. Il avait toujours apprécié monsieur Winsloo et il pensait que ça devait être réciproque mais il préférait ne pas être surpris par lui, ne serait qu'entrain d'embrasser sa fille. Surtout qu'il devait sans doute toujours être en bons termes avec ses parents et qu'il aurait sans doute entendu des choses pas très jolies sur Ezra.

« Un verre d'eau me suffira, merci. Et ton père... il n'est pas là?»

BB secoua la tête et se dirigea donc dans la cuisine pour se munir de deux verres. Elle remplit le premier d'eau puis se câla une bouteille de crème de cassis avant de revenir dans le salon. Elle tendit le verre d'eau à Ezra avant d'ouvrir le mini bar. Elle allait se faire un petit cocktail. Elle se sentait bizarrement nerveuse et avait un peu la gorge nouée. Elle avait besoin de se détendre au lieu de faire son coeur tendre. Elle se prépara sa vodka-cassis et vint s'asseoir au côté du jeune homme. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas été ainsi réunis dans son salon. Cela la rendait nostalgique. Ils avaient été deux enfants insouciants et grandissant dans le confort, ils s'étaient souvent querellés mais ils s'étaient adorés plus que tout. Seulement adoré ? Aujourd'hui elle devait bien admettre que non. Loin du banal petit béguin de gosses qu'elle avait cru ressentir pour lui, elle devait se fier à l'évidence. Elle n'avait pas su l'oublier à LA et elle ne pouvait pas mettre ça simplement sur le coup de la frustration, pas avec ce qu'elle ressentait ce soir en étant simplement à ses côtés et pour des baisers. Elle se comportait comme une gamine mais peut-être pas dans le sens qu'elle croyait. Elle se voilait délibéremment la face et refusait de voir la vérité. BB posa son regard sur lui, songeuse. Est-ce qu'elle allait continuer à se laisser dominer par sa peur plus longtemps, elle valait mieux que ça. Et pourtant, ça lui tordait l'estomac ! Pourquoi se torturait-elle ainsi ? Elle n'avait cas se laisser vivre et aviser en fonction, non ? Il y avait peu de chance qu'il la repousse désormais, non ?
Elle posa son verre sur la table basse pour venir se percher en travers de ses genoux sans plus de cérémonie. Elle planta ses yeux dans le sien, prit son courage à deux mains et se jeta à l'eau.

« J'en ai marre de faire l'idiote et la menteuse, j'en ai marre de faire semblant alors on va avoir cette discussion mais qu'une fois, ok ? Je tiens à toi, vraiment. Mais ça tu le sais, tu l'as toujours su, ne dis même pas non. Je me sens un peu minable et pathétique là, j'arrive même plus à faire semblant et ce que je dis est complètement bidon mais voilà: je veux pas qu'on m'enchaîne, je suis jeune, j'ai la vie devant moi et même si j'ai foiré récemment j'ai toujours une carrière mais je veux plus avoir à me passer de toi dans ma vie, c'était la foi de trop. J'ai bien trop besoin de toi, bien plus que ce que j'ai dis ou n'admettrai jamais. J'ai besoin de toi. Je suppose que t'as fais ta vie depuis que je suis partie, que tu m'as remplacé, tout plein de trucs du genre mais je veux pas que tu me jettes comme une de tes vulgaires conquêtes. Attends... je suis même pas une de tes conquêtes en fait, c'est stupide tout ça. Là où je veux en venir c'est que je... je... je sais même pas où je veux en venir. J'ai juste besoin de toi, plus que n'importe quoi, n'importe qui. C'est toi, et personne d'autre. »

Et elle se mordit les lèvres, gênée. Mais quelle idiote maladroite... Elle avait encore manqué une occasion de se taire.

Si tôt que BB lui tendit le verre remplit d'eau, Ezra le vida à moitié. Il avait la gorge sèche et l'impression que sa voix allait le lâcher d'un moment à l'autre. Il essaya de se convaincre que c'était certainement dû au fait qu'ils avaient tous les deux presque du crier pour se faire entendre, lorsqu'ils étaient à l'Exodus. Mais, au fond de lui, il savait que si sa voix se brisait, c'était à cause de ce qu'il ressentait en ce moment-même. Mais qu'est-ce que c'était exactement? De la joie, de l'excitation? Non, c'était de l'appréhension. Voilà ce que c'était. Il craignait les évènements qui allaient suivre et ce qu'ils auraient comme effet sur sa relation avec BB. Il ne voulait plus la perdre. Être séparé d'elle pendant plus d'un an avait été assez difficile à supporter. Lorsqu'il sentit son regard posé sur lui, Ezra resta figé, regardant droit devant lui. Si il la regardait une nouvelle fois dans les yeux, il alla vraiment craquer. Et il ne pouvait pas se le permettre. Sa peur de perte de BB gagnait largement sur le désir qu'il éprouvait pour elle.

Soudain, BB posa d'un air décidé son verre sur la table basse et Ezra l'imita. Il fut ensuite bien obligé de la regarder dans les yeux, puisque ce fut elle qui vint chercher son regard. Puis, elle se lança dans une longue tirade dans laquelle elle lui faisait part de ses sentiments mais aussi de son désir de garder sa liberté. Ezra baissa les yeux. « C'est toi, et personne d'autre. » Ce fut cette phrase cependant, la dernière, qu'il retint parmi tout ce que BB venait de dire. C'était stupide, il ne croyait pas au grand amour, aux âmes sœurs et a tout ce qui va avec. Pourtant, il était forcé d'admettre qu'il pensait exactement la même chose. Il aimait BB plus que comme une simple amie et cela avait toujours été le cas. Ce n'était qu'aujourd'hui qu'il se rendait vraiment compte de tout ce qu'il avait éprouvé pour elle au cours de toutes ces années. Et c'en fut trop pour lui. C'était trop de choses à digérer à la fois. Le retour de BB, les sentiments qu'il venait enfin de comprendre et le fait que cela semblait être réciproque. C'était tout simplement trop. Relevant la tête, il plongea son regard dans celui de BB et, regrettant déjà ce qu'il allait dire, il prit la parole à son tour. « Je crois que je ferais mieux d'y aller... » Puis, après avoir repoussé doucement BB, il se leva et s'apprêta à sortir du salon. Cependant, juste avant de sortir, il se retourna vers BB et bredouilla: « Je suis désolé... Je... Je... » Il baissa les yeux. « Je t'aime », c'est ce qu'il aurait voulu dire. « Je t'aime mais c'est trop dur à assumer », c'était ce qu'il pensait, là, en cet instant précis. « Je t'aime mais je ne veux plus souffrir » aurait aussi pu faire l'affaire. Mais plus aucun son ne sortit de sa bouche et il était incapable de bouger désormais. Figé et tête basse, attendant que BB réagisse ou le mette à la porte.

« Je crois que je ferais mieux d'y aller... »

BB cligna des yeux, doucement, sans comprendre. Elle ne résista pas lorsqu'Ezra se dégagea. Elle ne quitta même pas des yeux l'endroit où il se trouvait précédemment. Elle avait l'impression d'être coincé dans un bloc de gelé qui l'empêchait de réagir à temps, de réagir tout court. Elle était sonnée, abasourdie, pas certaine de comprendre ce qui était en train de se passer ni ce que cela sous-entendait. Il la repoussait au sens propre comme au sens figuré... Elle prit une profonde inspiration, comme si elle était longtemps restée en apnée mais son regard était toujours fixe.

« Je suis désolé... Je... Je... »

Il était désolé hein ? Elle aussi. Plus qu'il ne pouvait l'imaginer. Cette phrase avait eu l'effet d'un électrochoc sur elle. Son engourdissement s'était lentement laissé grignoter par la douleur jusqu'à ce qu'elle en soit envahie. Un faible tremblement lui fit frémir la lèvre et elle s'en voulut aussitôt. Elle s'en voulait de tout ça. Elle avait été strupide. Elle s'était mise à nue et s'était prise un mur. Elle avait été stupide. Elle n'aurait jamais dû faire ça. Tout ça n'était qu'un jeu. Tout ça n'était que le jeu, elle aurait dû le savoir. Mais elle avait eu la connerie d'y croire. Et elle avait la connerie de lui laisser voir ce qu'elle ressentait vraiment: son amour et maintenant sa souffrance. Alors elle s'évertua méthodiquement à refaire bonne figure. Elle se rassied comme il faut, lissa sa robe sur ses cuisses, coinça quelques mèches rebelles derrière ses cheveux avant de croiser ses mains sur ses genoux. Enfin elle mit toute la volonté qu'elle pouvait dans son regard avant de le fixer sur Ezra.

« Ne sois pas désolé pour moi, soit le pour toi. Un coeur comme le tien, c'est triste. Tu ne connais que le jeu et tu ne vivras jamais que dans le jeu. Mais pour moi c'est Game Over, Adriel. Tu ferais bien de partir en effet. »

Elle se leva et lui tourna le dos pour clôre la conversation.

Comme BB ne répondit pas tout de suite, Ezra finit par relever lentement la tête. Il put alors observer BB remettre sa robe et ses cheveux en place. Sa gorge se serra d'avantage. Il regrettait déjà ce qu'il venait de faire mais il n'y avait aucun moyen de revenir en arrière, il le savait. Enfin, BB fixa son regard sur lui. Et cela le rendit d'avantage mal à l'aise qu'il ne l'était déjà.

« Ne sois pas désolé pour moi, soit le pour toi. Un cœur comme le tien, c'est triste. Tu ne connais que le jeu et tu ne vivras jamais que dans le jeu. Mais pour moi c'est Game Over, Adriel. Tu ferais bien de partir en effet. » Et elle lui tourna le dos. Ezra mit quelques instants à saisir le sens de ces paroles. Il avait bel et bien tout foutu en l'air. Mais il ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle avait largement contribué à le rendre ainsi. Et son absence ajoutée aux évènements qui s'étaient déroulés durant celle ci n'avait fait qu'augmenter ce besoin d'avoir le contrôle, de ne dépendre de personne. Il le savait maintenant, il aimait BB plus qu'il ne l'avait imaginé. Et son retour, au lieu de le rendre plus fort comme il aurait pu le croire, l'avait rendu plus vulnérable que jamais. Et il ne voulait pas de ça.

Il resta un moment là, au milieu du salon, à fixer le dos de BB. Il esquissa un mouvement vers elle avant de s'interrompre. Il aurait voulu la prendre dans ses bras et la supplier de le pardonner. Il ne pouvait pas croire que c'était terminé. Plus jeunes, ils s'étaient souvent fait la guerre mais ils se retrouvaient toujours. Et la plupart du temps, ils ne restaient pas bien longtemps fâchés. Mais là, c'était indéniablement différent. Finalement Ezra poussa un soupir discret avant de tourner les talons et de se diriger vers la porte. Il posa une dernière fois son regard sur BB avant de sortir. Arrivé sur le seuil de la porte d'entrée et après avoir refermé celle-ci, il fit quelques pas dans l'allée puis s'arrêta et ne put réprimer un « Mais quel con! » plutôt sonore. Si bien que le chien des voisins se mit à aboyer sur lui. Ezra lui lança un regard noir, ce qui ne l'arrêta absolument pas, bien évidemment. Puis il jeta un dernier regard vers la villa de BB, fourra ses mains dans ses poches avec rage et prit le chemin de son appartement...